Hier soir, à l’heure où vous recevrez ce message chez vous, j’étais là: sur le Bund, à Shanghai, en face de Pudong éclairé. C’était magique. (Ne croyez pas que je sois mêlée dans ma concordance des temps, c'est le décalage horaire qui crée ces étranges rapports au temps !)
Avant de quitter Montréal, Yves me demandait quel était mon objectif personnel secret, ce qui ferait que je serais contente de mon voyage. Me retrouver seule de nuit en face de cette vue mythique de Pudong en était un. Me perdre dans les dédales de
Quelques images de Shanghai:
À la veille de mon départ de Pékin, j’avais réussi à obtenir un rendez-vous avec le responsable chinois d’une petite ONG qui vient en aide aux travailleurs migrants et aux femmes en particulier. Un contact obtenu après trois précédentes entrevues où chaque personne rencontrée m’en réfère une autre…
Bref. Je me suis retrouvée au fond d’un labyrinthique Hutong (ruelles où se trouvent les habitats chinois traditionnels, en voie de démolitions massives…), que jamais je n’aurais trouvé seule.
Catherine, nom anglais de mon interprète, a demandé son chemin à huit personnes différentes avant de trouver le bon. Nous avons finalement pénétré dans une habitation à cour carrée où une quinzaine de jeunes Chinoises (et quelques Chinois) répétaient en chœur, debout autour d’une table de ping-pong, une chanson sur les migrants, écrite par l’un d’eux.
C’était dans le cadre de l’un des ateliers de divertissement offerts par cette ONG. Nous sommes restées là plus de quatre heures. Près de trois heures d’entrevues avec le responsable (le temps de la traduction double la durée des entrevues) puis avec des bénévoles et des femmes migrantes. Dans cette organisation, les migrantes peuvent bénéficier de cours d’anglais ou d’informatique qui leur permettront peut-être de postuler à un meilleur emploi. Un avocat les informe de leurs droits. Mais surtout, elles trouvent le réconfort et l’entraide dont elles manquent cruellement en dehors, arrivées seules de leur campagne quelques mois auparavant et projetées dans cette ville où elles n’ont aucun repère.
Une jeune migrante
Après les entrevues, alors que je prenais des photos de ces jeunes en train de chanter, j’ai vu mon interprète aller discuter avec l’une des bénévoles et donner ses coordonnées. Elle m’a avoué qu’elle trouvait l’organisation vraiment intéressante et qu’elle avait le goût de s’impliquer pour aider ces jeunes femmes, qui ont le même âge qu’elle, en fait. Mais quel écart incroyable entre Catherine, jeune urbaine indépendante et éduquée, parlant anglais et habituée à côtoyer les étrangers, et ces jeunes filles complètement naïves, aucunement conscientes de leurs doits, et de leurs non-droits d’ailleurs, débarquant de leur campagne à la recherche d’une vie meilleure comme des anges tombés dans la merde. Enfin, voir Catherine proposer ses services comme bénévole, elle pourtant avide d’argent (comme tous ces jeunes Chinois qui ont compris le fonctionnement de cette nouvelle société de consommation) m’a émue. Si mon voyage n’avait servi qu’à cela, je ne serais pas venue pour rien.
Enfin, il est trop tard. Avec mon compagnon aux deux mots d’anglais, nous attendons près de quarante minutes sur le trottoir devant l’hôtel, l’arrivée de la police. Alors que je suis en train de me dire qu’ils ont résolument d’autres chats à fouetter et que je vais devoir me résoudre à abandonner ma bicyclette, je vois arriver en trombe deux autos de polices avec sirènes et gyrophares. Je n’y crois pas. Mais oui, c’est bien pour moi. Ils débarquent à deux de chaque voiture et se dirigent vers moi. Quatre policiers chinois, qui vont inspecter ma bicyclette un à un avant de conclure par des airs entendus que le seul moyen de sauver la machine est de briser le cadenas. Ils me demandent par signe si je suis d’accord. Ben oui ! Vous croyez que j’attends quoi, au juste ? L’un d’eux se dirige vers le chantier de construction tout proche et en revient armé d’une scie pour s’attaquer à mon cadenas. Avant de passer à l’action, il s’assure une fois de plus de ma volonté ferme et définitive d’achever ce morceau de métal rebelle. Devant ma conviction inébranlable, il s’accomplit. Je n’en reviens pas. Ils sont quatre policiers mobilisés depuis près d’une heure pour scier le cadenas d’une jeune Occidentale en péril. Un attroupement de curieux s’est formé autour de nous. J’ai peine à me retenir de rire. Mais ils ont l’air de trouver ça drôle eux aussi. J’hésite à pousser l’audace jusqu’à sortir mon appareil photo mais la situation est trop loufoque. J’ai donc pris quelques clichés et même un petit film, pour que vous ayez des preuves que je n’ai pas tout inventé !
Finalement, ils ne m’ont rien demandé, pas de papiers, pas de questions. Je suis rentrée à la maison, après quelques heures de perdues, mais triomphante avec mon cadenas scié sous le bras. Cette histoire est assez représentative de la façon dont les choses se passent en Chine. Ici, tout est possible. Il faut de la patience, beaucoup de persévérance, parfois un peu d’argent pour accélérer les choses, mais on peut toujours arriver à ses fins.
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